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Salarié et digital nomade, c'est possible mais pas donné à tout le monde



Le digital nomadisme serait-il seulement réservé aux indépendants qui plaquent tout pour vadrouiller à l'année ? Depuis la crise sanitaire, les salariés demandent aussi à pouvoir télétravailler, et même à l'étranger, quelques semaines ou mois par an. Mais ce n'est pas gagné…


« Quand j'ai cherché un emploi à la fin de mon stage de fin d'études, ça ne m'a même pas traversé l'esprit de pouvoir être digital nomade en tant que salarié », se souvient Théophile Pomies, 26 ans. Il faut dire qu'avant la crise sanitaire « les digital nomades étaient surtout des entrepreneurs et des free-lances », observe Maxime Brousse, journaliste et auteur du livre « Les Nouveaux Nomades ». « Il s'agissait pour la plupart de célibataires de moins de 33 ans qui cherchaient des destinations ensoleillées en bord de mer, dans des lieux où se retrouvent des gens qui travaillent aussi à distance et où le coût de la vie est avantageux. Par exemple Chiang Mai, Medellín, Bali, Mexico… »

Mais depuis la démocratisation du télétravail, le visage des digital nomades est en train de changer. Des salariés, jusqu'ici sédentaires, ont rejoint les rangs de cette tribu qui s'agrandit. Théophile fait partie de ces nouveaux convertis. Ce diplômé de l'Edhec a décroché un CDI chez Germinal, une start-up spécialisée dans le marketing digital. Son contrat a commencé en mars 2020, mois du premier confinement. Les vingt-cinq collaborateurs de la jeune pousse sont alors tous passés au télétravail à 100 %. « Dès la deuxième semaine de distanciel, je me suis rendu compte que je pouvais bosser de n'importe où », raconte le jeune homme.

Des séjours en coliving

Sa boîte est séduite par le travail à distance et décide de permettre à ses salariés d'être en « full remote » sur la durée s'ils le souhaitent. Théophile rend alors en mai les clés de l'appartement qu'il loue à Paris et retourne s'installer chez ses parents, en région parisienne. Son projet : télétravailler depuis là-bas mais aussi d'ailleurs en France, et si possible à l'étranger. Il soumet cette dernière idée à ses supérieurs, qui acceptent. En octobre, le jeune homme s'envole pour l'Espagne, où il pose ses valises pendant un mois, au sud de Valence. En janvier, il passe un mois à Briançon (Hautes-Alpes). Là-bas, ses pauses déjeuner sont ponctuées de balades à skis de fond. En février, direction un village en bord de mer près d'Agadir, au Maroc. Il aménage alors ses horaires pour pouvoir surfer les meilleures vagues. De fin mars à début mai, il s'installe à Tenerife (Espagne). Lire aussi :5 alternatives pour télétravailler hors de chez soi A chaque fois, il opte pour le coliving, des résidences partagées pensées pour accueillir des personnes sur d'assez courtes durées, qui souhaitent également télétravailler sur place. « Je suis chanceux d'avoir la possibilité de partir ainsi, s'enthousiasme Théophile. Ça montre que la boîte te fait confiance, tant que tu fais bien ton travail. C'est gratifiant. »

L'occasion d'élargir son réseau

Les acteurs du tourisme ont d'ailleurs bien compris qu'il y avait là un marché prometteur. Depuis la crise sanitaire, certaines agences de voyages et résidences hôtelières proposent des programmes spécialement pensés pour ces néotélétravailleurs, avec un prix avantageux, une connexion Internet performante, des ateliers de networking… Les leaders du secteur hôtelier de luxe, Marriott et Hyatt, développent une offre de résidences de long séjour dédiée aux nouveaux adeptes du « bleisure » (contraction de « business » et « leisure »). Certains territoires, comme le Mexique, la Barbade ou l'île Maurice, ont créé des visas destinés aux télétravailleurs qui souhaitent rester plusieurs mois sur place. Et de nouveaux acteurs émergent, comme Remoters, une plateforme née en avril. Celle-ci met en relation des personnes désireuses de télétravailler au-delà de nos frontières avec des locaux francophones. Objectif : leur trouver un logement pour un ou plusieurs mois à des tarifs attractifs. Parmi ceux qui se sont lancés récemment dans le secteur, les Français Matthieu Zeilas et Hugo Grange. Ces jeunes trentenaires ont cofondé, à l'été 2020, Palma Coliving, une entreprise qui met en location deux résidences en coliving en Espagne, l'une à Valence, l'autre à Majorque. « Nous recevons principalement des Européens. Pour moitié des free-lances et entrepreneurs, et pour moitié des salariés », explique Matthieu Zeilas, qui cherche des fonds pour se développer dans une trentaine de destinations ces prochaines années. Les occupants déboursent en moyenne 1.200 euros pour un mois de séjour. Le soir, ils se retrouvent autour d'apéros, partagent repas et sorties. La semaine est ponctuée d'événements pour développer leurs compétences professionnelles (avec des ateliers sur des thèmes comme « l'art de la négociation » ou « comment gérer son temps ») et des soirées réseautage. « Les digital nomades rencontrent des gens du monde entier, agrandissent leur réseau, trouvent parfois de nouveaux clients et découvrent d'autres manières de travailler », avance le cofondateur.

Partir sans le dire


Mais tous les salariés n'ont pas la chance d'obtenir le feu vert de leur direction pour partir à l'étranger. Certains préfèrent d'ailleurs ne pas demander l'autorisation, convaincus qu'ils essuieront un refus. C'est le cas de Vincent*. Cet ingénieur d'une entreprise dans l'aérospatiale à Toulouse revient d'une dizaine de jours en télétravail dans la péninsule Ibérique, qu'il a passée chez des proches. Une escapade que ses supérieurs ignorent. « Je connaissais d'avance la position de la direction, qui n'est déjà pas favorable au télétravail », relate le trentenaire.

Son cas n'est pas isolé, d'après un gérant de coliving en Espagne : « Certains clients me confient que leur employeur n'est pas au courant, qu'ils ont préféré ne pas leur dire de peur que cela ne soit pas accueilli très positivement… » Vincent, lui, ne comprend pas la réticence qu'ont certains managers vis-à-vis du télétravail hors de nos frontières. « Moi, j'ai été beaucoup plus productif que chez moi, car je me sentais bien », souligne-t-il. Lui aimerait beaucoup, sur le long terme, pouvoir télétravailler de manière ponctuelle ailleurs que dans l'Hexagone, « pour visiter parallèlement au travail et changer d'air ».

"Zone Grise du droit du travail"

Si certaines entreprises sont défavorables au télétravail à l'étranger, c'est parce qu'il ne suffit pas de filer avec son ordinateur sous le bras. Cela demande d'entreprendre quelques démarches. Dès le début de la crise sanitaire, « certaines entreprises ont préféré l'interdire », observe Benoît Serre, vice-président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) et DRH de L'Oréal France. Les raisons qui peuvent expliquer cette frilosité ? « Cela génère des complexités et des coûts, notamment si l'entreprise doit modifier ses contrats d'assurance pour couvrir les salariés qui iront télétravailler ici ou là », explique-t-il. Pour l'heure, « le télétravail ponctuel à l'étranger est une zone grise du droit du travail, au sens où il n'est pas prévu, détaille Mathilde Gaupillat, avocate spécialisée dans le droit du travail. Si le lieu de travail habituel est en France, tout travail à l'étranger est à déclarer et sera placé soit sous le régime de l'expatriation, soit sous celui de la mission. » « Légalement, les employeurs doivent aussi veiller à la santé et à la sécurité de leurs travailleurs, et évaluer les risques professionnels sur chaque poste de travail, complète Louis Desmet, juriste spécialisé dans le droit du travail au sein du cabinet Ellipse Avocats à Bordeaux. Ce qui en soit est une gageure à l'heure de la généralisation du télétravail, nomadisme ou pas. En théorie, ils doivent par exemple s'assurer que l'espace de travail choisi (résidence ou espace de coliving) répond bien aux différentes préconisations, notamment en termes d'installation électrique. »

Autre problématique : « Le salarié français cotise en France et est couvert par la Sécurité sociale française. Il faut se renseigner au préalable sur la couverture santé du pays dans lequel on souhaite se rendre en tant que travailleur et non vacancier, car la note peut flamber en cas de maladie ou d'accident », éclaire Mathilde Gaupillat. Et d'ajouter : « Il faut toujours demander l'autorisation à son employeur et lui faire connaître le lieu de télétravail car, en cas d'accident, l'assurance de l'entreprise qui vous couvre pourrait ne pas fonctionner si votre déplacement n'est pas déclaré. »

Pour permettre à Théophile d'être digital nomade, son employeur a fait appel à des avocats spécialisés dans le droit du travail. « On a mis en place une charte de télétravail pour l'encadrer, détaille Kevin Duchier, DRH de Germinal.On y indique entre autres que les télétravailleurs peuvent partir à l'étranger, mais dans une destination qui se trouve au maximum à quatre heures de décalage horaire. » L'entreprise a également souscrit à une assurance pour couvrir les déplacements des salariés.

Quel avenir pour le travail ponctuel les pieds dans le sable ? « Le permettre pourrait être un levier pour attirer des talents sur des postes difficiles à pourvoir », pense Benoît Serre. Et de mettre en garde : « Le risque, si le télétravail à l'étranger se massifie, c'est qu'il y ait une sorte de mondialisation des compétences. Si les entreprises se rendent compte qu'elles peuvent travailler avec des personnes à l'étranger, elles pourraient se questionner sur l'intérêt de payer un salarié français. Et, par conséquent, préféreront peut-être embaucher des locaux ou un Français avec un contrat local moins rémunérateur. »

A NOTER.

Le nomadisme numérique à de beaux jours devant lui. La preuve en chiffres. 66 % des salariés français aimeraient pouvoir choisir librement leur lieu de travail, d'après une étude de Génie des Lieux, un cabinet de conseil indépendant en design, co-conception et réalisation d'espaces de travail. 10,9 millions de travailleurs américains se définissaient comme des nomades numériques en 2020, soit une augmentation de 49 % par rapport à 2019, selon une étude de MBO Partners. Aux Etats-Unis, d'ici à 2025, 36,2 millions de personnes devraient travailler à distance, avance une étude menée par Upwork, une plateforme spécialisée dans le recrutement de travailleurs indépendants. Cela représente une augmentation de 87 % par rapport aux niveaux d'avant la pandémie.

Chloé Marriault

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