La crise sanitaire bouscule notre manière de travailler. Mais, quel est l'impact de cette nouvelle organisation sur les start-up qui ont construit une image de marque basée sur une culture d'entreprise conviviale ?
Dans le monde réel ou dans les séries, les start-up sont souvent caricaturées. « À tort », rétorque d'emblée Pierre Mottais, culture manager chez Back Market, une start-up spécialisée dans les appareils reconditionnés. Au quotidien, la mission de ce responsable en communication est d'assurer la cohésion de cette grande « famille » de 345 salariés. Dans l'ancien temps (comprendre avant la crise sanitaire), il organisait par exemple des ateliers Do-It-Yourself, de poterie, de jardinage ou encore des séances de films collectives… L'objectif de ces animations collectives était de créer du lien entre les collaborateurs. « Chez nous, le travail est une expérience humaine. Il nous paraît important d'avoir des échanges qui vont plus loin que l'avancée des dossiers », précise-t-il.
Mais comment maintenir ce lien fort quand les troupes sont à distance ? Dès le début du confinement la start-up a proposé des cours de yoga en ligne, des visites d'expositions virtuelles, des cours de musique via Zoom… « L'idée était de recréer une expérience digitale le plus vite possible », précise Pierre Mottais. La start-up qui a levé 110 millions d'euros en mai dernier ne lésine pas sur les moyens pour chouchouter ses collaborateurs. Pendant le confinement, ils ont envoyé des ballons de baudruche et des mots d'encouragement aux collaborateurs ayant des enfants. « Un moyen de les soutenir pendant cette période difficile », explique le culture manager.
En marche vers les désillusions
Cette mise en scène bien léchée agace Antoine Gouritin, auteur d'un essai, très critique sur l'univers des start-up intitulé « Le startupisme, le fantasme technologique de la start-up nation », publié en 2019. Pour lui tous ces artifices ne sont que de la poudre aux yeux. « La notion de famille n'existe pas dans le monde de l'entreprise, assure-t-il. Ce mythe est un outil de communication qui permet de justifier de longs sacrifices comme des horaires de travail à rallonge, des bas salaires… »
Pour cet auteur, la crise sanitaire est révélatrice d'un modèle basé sur de fausses promesses. « Surtout aux Etats-Unis où le mythe est en train de s'effondrer », ajoute-t-il. Malgré les aides gouvernementales comme le Paycheck Protection Program, une initiative de l'Etat fédéral qui a octroyé plus de 5 millions de prêts pour un total de 525 milliards de dollars, d'après un article du Wall Street journal , publié le 6 octobre, les licenciements ont été très agressifs.
Du côté des grands noms de la tech, le déjeuner entre amis tourne au vinaigre. Après une baisse de production de 80 % de son activité, la famille Uber a licencié près de 3.500 collaborateurs en 3 minutes sur Zoom , en mai dernier. Dans la foulée, Airbnb s'est aussi séparé de 1.900 collaborateurs , soit 25 % de ses effectifs. Cette vague de licenciement a suscité de vives réactions chez certains collaborateurs qui se sont sentis « trahis » par une fin aussi brutale. « Airbnb était une famille juste avant les licenciements », a titré le New York Times, dans un article publié en juillet dernier .
Un sentiment de trahison
Airbnb a construit toute son image sur un storytelling fondé sur des valeurs fortes comme le partage, la bienveillance, le respect de l'hôte. « C'est logique qu'une partie des collaborateurs licenciés se sentent floués », explique Dan Geiselhart, cofondateur de TechTrash , une newsletter tech, très sarcastique sur l'écosystème des startups et co-auteur des Possédés, un livre qui dénonce l'emprise de la Tech. Son analyse est très tranchée : « vu de l'extérieur, on se dit que ces derniers auraient dû prendre plus de recul par rapport à l'histoire qu'on leur avait vendue », ajoute-t-il.
Ce sentiment de trahison entraîne une prise de conscience parfois brutale. « Aujourd'hui, les start-up qui ont une culture d'entreprise basée sur l'engagement risquent de perdre, la valeur qui a fait leur succès », indique Ethan Mollick, un professeur d'entrepreneuriat à Wharton School, une université de Pennsylvanie, au New York Times. « Quand le lien de famille s'est brisé, cela devient juste un travail », observe-t-il.
Hausse des départs
Ce vent de désillusion impacte aussi les jeunes pousses françaises qui ont été bien protégées. Dès le début de la crise sanitaire, l'exécutif a mis en place le prêt garanti par l'Etat (PGE) , un dispositif exceptionnel de garanties permettant de soutenir le financement bancaire des entreprises, à hauteur de 300 milliards d'euros. 83 % des start-up françaises ont demandé un prêt garanti par l'Etat et 52 % ont utilisé le chômage partiel, indique le baromètre annuel de la performance sociale et économique des start-up d'EY pour France Digitale, publié en septembre 2020. Mais, la distance change les rapports au travail. Après le confinement, beaucoup de salariés français ont constaté qu'ils n'aimaient pas/plus leur boulot.
Pire, parmi les bénéficiaires du dispositif de chômage partiel, certains ont fraudé en demandant à leurs salariés de continuer à travailler sur les heures chômées , et payées par Pôle emploi. Certains témoignages font état de start-up qui demandent aux collaborateurs de communiquer via WhatsApp pour ne laisser aucune trace de leur travail « illégal »dans les serveurs. Une attitude peu exemplaire qui cogne avec l'image de bienveillance diffusée ici ou là. « On a longtemps présenté les start-up comme des entreprises montées par des bandes de potes prêts à tout pour réussir. La crise montre qu'elles sont entreprises comme les autres, voire pire », tacle Dan Geiselhart. Son discours rejoint celui d'Antoine Gouritin qui voit cette situation comme un grand moment de vérité. « Quand on enlève le vernis, les évènements de groupe et les animations, les gens se rendent compte qu'il ne reste plus grand-chose », pointe-t-il.
S'il est encore trop tôt pour chiffrer les pots cassés, certaines start-up observent une hausse des départs. « Le sujet est un peu tabou dans l'écosystème, personne n'en parle pas, mais les RH s'arrachent les cheveux pour essayer de garder les talents », confie un entrepreneur qui préfère rester anonyme.
Pour raviver la flamme et pallier le manque de motivation des collaborateurs, Natacha Hakwik, cofondatrice de Eqinov, une start-up spécialisée dans l'énergétique a été très à l'écoute de son équipe. Avec le chômage partiel, elle a vite senti un désengagement. « Pour motiver les troupes, nous avons changé le calendrier et proposé des projets au long cours pour redonner du sens aux missions de chacun », précise l'entrepreneuse. Une chose est sûre, plus rien n'est pareil…
Source: start.lesechos.fr
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