Depuis le début de la crise sanitaire, certains Français ont quitté l’Hexagone pour aller travailler sous d’autres latitudes. On les appelle les travailleurs nomades. Phénomène grandissant depuis plusieurs années, poussé par la généralisation du télétravail et l’amélioration des outils numériques, le « nomadisme digital » vient questionner notre rapport au travail mais aussi aux vacances.
Se réveiller face à la mer, répondre à ses mails à l’ombre d’un palmier tout en sirotant un jus de fruits frais, déambuler dans les rues animées après une bonne journée de travail… Voilà à quoi ressemble le quotidien de certains Français, qui, depuis le début de la crise sanitaire et du premier confinement, ont préféré s’expatrier dans une destination plus exotique pour changer d’air.
Le travail nomade ou « nomadisme digital » consiste à s’installer quelques semaines ou quelques mois loin de chez soi, tout en continuant à travailler à distance. Un mélange de travail et de vacances qui existe depuis les débuts du télétravail. En 2007, le député Pierre Morel-À-L’Huissier écrivait un rapport intitulé « Du télétravail au travail mobile : Un enjeu de modernisation de l’économie française », preuve que la pratique existait déjà il y a plus de dix ans.
Le télétravail concerne 7% de la population active en France
Difficile pourtant de trouver des chiffres exacts pour quantifier le télétravail et le travail nomade en France. Comme l’explique très bien Laeticia Vitaud, auteure et conférencière sur le futur du travail et de la consommation, sur le blog de l’Institut Montaigne : « Pratiqué essentiellement de manière informelle, les deux tiers du télétravail en France passaient sous le radar en ne faisant pas l’objet d’une contractualisation. ». Selon les chiffres de la DARES (Direction de de la recherche, des Études et des Statistiques), le télétravail concernait en 2017 un peu plus de 7% de la population active, soit 1,8 million de personnes dans le public comme le privé. De 2018 à 2019, 700 000 personnes supplémentaires auraient commencé à télétravailler selon une étude Malakoff Humanis. En revanche, aucun chiffre ne quantifie la pratique du « nomadisme digital » plus spécifiquement.
Une chose est sûre, le télétravail et le travail nomade se sont démocratisés ces dernières années. La possibilité de se connecter plus facilement à Internet, l’amélioration des outils numériques, l’évolution des mentalités dans le monde du travail et la croissance du nombre de freelances ont contribué à faire de ce nouveau mode de travail une réalité. Et encore plus dans le contexte de crise sanitaire actuel dans lequel des millions de Français ont été invités à travailler depuis leur domicile lorsque cela était possible.
Les travailleurs nomades : qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ?
Il serait erroné de dire que le travail nomade concerne tout le monde. Pour pouvoir être « nomade », il faut déjà pouvoir travailler à distance, ce qui concerne a priori seulement 7% de la population active (voir plus haut). Il faut en plus y ajouter le facteur « ouverture d’esprit ». Difficile de convaincre son patron que non, vous ne passez pas votre journée dans la piscine et que oui, vous allez rendre votre rapport dans les temps.
« Tout dépend de la vision de votre patron et de l’ADN de votre entreprise », explique Jeanne Philippe, cofondatrice de Nomade Path qui accompagne les personnes voulant tenter l’aventure du nomadisme. Jeanne et son compagnon Ludovic Fouchan, également cofondateur de Nomade Path, ont posé leur valise au Portugal depuis cinq mois. En plus d’en parler, le couple travaille de manière nomade. Agés de 31 ans et 29 ans, ils travaillent dans le domaine des réseaux sociaux. « Je pense que ce modèle se met plus facilement en place s’il a été pensé dès le début dans l’entreprise », continue-t-elle. Et Ludovic Fouchan d’ajouter : « Ce n’est donc pas nécessairement une question de générations. Nous avons croisé des familles avec enfants, ce sont souvent des gens passionnés de voyage ». Au gré de leurs rencontres, Jeanne et Ludovic ont remarqué que les travailleurs nomades voulaient avant tout se reconnecter à la nature, se rapprocher de la mer ou de la campagne. Un besoin d’autant plus présent depuis le début de la crise sanitaire chez les personnes ne disposant pas d’extérieur ou vivant dans un petit espace.
A travers Nomade Path, Jeanne et Ludovic rétablissent la vérité. « Non, on ne travaille pas sur la plage car c’est impossible. On ne voit rien sur notre écran et il n’y a pas de prise », plaisante Jeanne Philippe, « Nous avons des horaires classiques et nous vivons comme des locaux. Il nous arrive même de travailler le week-end. Forcément, les photos que nous publions sur les réseaux sociaux reflètent le bon temps. On ne publie pas de photos de nous en train de travailler, ça ne serait pas très intéressant ».
Le Portugal n’est pas la seule destination qui attire les travailleurs nomades. A travers sa technologie d’analyse de données mobiles, la startup Symaps a par exemple observé que les Iles Canaries avaient été très prisées depuis le début de la pandémie. « Nous avons remarqué que les personnes présentes dans les îles venaient beaucoup de l’étranger. En analysant les cartes de chaleur, nous avons appris qu’elles se comportaient à la fois comme des locaux et des touristes », explique Mickael Mas, cofondateur de la startup. Le gouvernement régional a décidé d’investir 500 000 euros pour attirer 30 000 travailleurs venant d’Espagne ou de l’étranger. Des personnes pas tout à fait touristes, pas tout à fait locaux, pour qui il faut créer une nouvelle offre attractive. Il n’est plus question d’hôtels ou d’activités packagées, mais de local, de slow tourisme. Des profils au pouvoir d’achat plus élevé que des touristes dits « classiques ». « Ils sont susceptibles de dépenser beaucoup plus sur place – et cela sans avoir l’impact du tourisme de masse », explique Nacho Rodríguez dans Courrier International.
Quentin, jeune entrepreneur de 30 ans, revient tout juste d’un séjour à Las Palmas en novembre : « J’étais dans une période de transition entre deux jobs et je me doutais qu’un deuxième confinement allait être instauré ». Il pense d’abord au Costa Rica ou Bali. Mais en faisant des recherches sur Internet, il apprend que les Iles Canaries offrent de bons spots de surf et ne sont finalement pas « une destination de vieux ». « L’Espagne offre un bon cadre de vie. Et comme c’est l’Europe, c’est plutôt rassurant sur le plan médical », ajoute Quentin. Pendant un mois, il loge dans des Airbnb et travaille dans des espaces de coworking. Une expérience qu’il a appréciée, mais qui n’est pas forcément faite pour lui sur le long-terme : « Je pense que je ne suis pas fait pour la vie nomade. C’est sympa pour faire une pause mais je ne me vois pas vivre de cette façon pendant un an », témoigne-t-il.
D’autres, comme Aurélie Krau, en ont fait un véritable mode de vie. Son premier voyage en tant que travailleur nomade, c’était il y a six ans au Colorado. « C’était à la suite d’une conférence dans le voyage d’affaires, je suis restée près d’un mois », se souvient-elle. Depuis, cette consultante dans le secteur du Tourisme et du Voyage d’Affaires documente sa vie de nomade sur les réseaux sociaux et à travers des vidéos.
« A travers ces vidéos, je veux faire du bruit dans le monde du Voyage d’Affaires », déclare-t-elle. Selon Aurélie Krau, la crise sanitaire va pousser les entreprises à interroger la nécessité des déplacements professionnels. « C’est indéniable, le volume des voyages d’affaires va diminuer dans les mois et années à venir. Les entreprises vont peut-être chercher à combiner plusieurs évènements au même endroit. Quitte à partir à l’étranger, autant y rester plus longtemps. C’est plus écologique. », continue la jeune femme.
Source: tom.travel
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